No. 25 Non, ChatGPT et l'Intelligence Artificielle ne font pas de vous un·e artiste.
Saison 3, épisode 4 - Ce n'est pas grave de ne pas savoir dessiner, c'est un peu plus grave de voler et d'outrepasser le droit d'auteur des personnes qui ont pris le temps d'apprendre à le faire.
Je suis énervée. C’est aussi simple que ça.
Décidément entre cette newsletter et la précédente, je deviens minimaliste !
Vous en avez forcément entendu parler ou vous en avez forcément vu passer : ChatGPT dans sa dernière mise à jour donne la possibilité de générer des images et depuis, c’est le festival du vol d’artistes ! Ce qui fait le plus parler — et à juste titre — ce sont toutes les images générées sous le style des productions Ghibli (pour le studio le plus connu en tout cas). Des particuliers comme des politiques s’y sont essayés, tout le monde s’est joint à la danse. C’est trop marrant, trop mimi les paysages et oh t’as vu à quoi je ressemble si je faisais partie d’un film de Miyazaki ? Mais ce n’est pas la première fois, cela fait depuis 2021/2022 environ lorsque DALL-E et Midjourney ont débuté et pris directement de l’essor que l’on parle de toutes les problématiques entourant le sujet.
Pendant que j’écrivais cette newsletter j’ai notamment écouté…
Mais depuis la semaine dernière les réseaux en sont de nouveau inondés et moi ? Moi, je soupire, je serre des poings et je fulmine dans ma cuisine le matin, encore en pyjama, le cheveu un peu décoiffé, en disant à mon copain pour la énième fois “mais je ne comprends pas, comment les gens ne peuvent pas comprendre, ça n’a aucun sens !” pendant qu’il essaye tant bien que mal de me raisonner quand il voit que je suis en train de me diriger vers une matinée entière à être en colère après le monde entier. Et parce que tout ça ne mène à rien, mon chien Newton me regarde avec son deuxième jouet préféré dans la gueule — une grosse fraise, son premier jouet préféré étant une grosse balle rouge — attendant que je termine pour enfin passer à une activité plus amusante et je le comprends.
Ça fait des mois que je me dis qu’il faut vraiment que j’écrive à propos de l’IA Générative parce qu’à chaque fois que j’y pense, j’ai le coeur qui palpite, je fronce des sourcils et je me lance dans des débats sans fin sur internet où je prends n’importe qui racontant n’importe quoi pour cible en sachant bien que je n’arriverai jamais à faire changer d’avis ce mec lambda (souvent des mecs mais pas que) qui a écrit AI Artist dans sa bio et qui est persuadé qu’il est le prochain De Vinci, le génie en moins.
Je me sens intérieurement blessée parce que le sujet m’est trop proche et en même temps, le sujet devrait être proche de tout le monde.
Lorsque l’on écrit un mémoire on dit souvent de ne pas traiter d’un sujet trop proche de soi pour ne pas être biaisée. Mais je n’écris pas un mémoire mais une newsletter alors je m’en fous et je crois que si, écrivons à propos des sujets qui nous sont proches, c’est là que l’on écrit le mieux.
Je suis illustratrice, ça fera 10 ans l’an prochain que j’ai fait de l’Art la source de mes revenus et que c’est devenu — sans aucune échelle de valeur, les deux activités se répondent et se nourrissent —quelque chose en plus à côté de lorsque je dessine, peins et crée pour moi et mon propre plaisir, dans mon temps libre, sans aucune notion de gain d’argent. Je n’ai pas suffisamment confiance en moi pour dire que je suis une artiste pourtant, si je m’en réfère à la définition donnée par Wikipedia1, j’en suis une. Et je trouve ça dégueulasse de voir mon activité, les heures et les heures passées à créer, piétinée par le simple fait de taper un prompt, de presser la touche Entrée et de voir apparaitre quelque chose qui n’existe que parce que les artistes ont créé avant.
J’ai toujours dessiné. Petite, je dessinais. Adolescente, je dessinais. Jeune adulte, je dessinais. J’ai fait une pause de 3 ans après le début de mes études parce que je n’en pouvais plus, de dessiner, puis j’ai repris et je n’ai plus arrêté. Je ne suis pas talentueuse, ce n’est pas inné, j’ai juste toujours dessiné et c’est cette addition d’heures et d’heures passées qui ont fait que je sais quelles couleurs utiliser, quels traits faire, comment fonctionne une perspective… bref, j’ai appris. Tout comme l’on apprend à jouer au tennis, à coudre, à faire du tricot, à manipuler des chiffres… Et puisque j’ai appris, je sais que ça prend du temps. Tout apprentissage prend du temps, vous le savez bien. Personne ne passe de ne pas savoir faire quelque chose en sachant le faire parfaitement d’un jour à l’autre. Et si c’est le cas, c’est que d’autres compétences ont pu aider à faire un pont : lorsque je me suis mise à la peinture à l’huile (j’ai d’ailleurs une toile à reprendre depuis l’été dernier c’est terrible), même si je n’en avais jamais fait tout mon apprentissage en amont de la couleur et du dessin m’ont permis de ne pas partir de zéro et de déjà savoir faire d’une certaine manière.
Bien sûr il n’y a pas que ça, il n’y a pas que le temps qui compte sinon ce serait trop froid et mathématique : il ne suffit pas de passer des heures et des heures à faire quelque chose pour savoir le faire, à ça il faut ajouter un élément qui relève peut-être un peu plus du hasard : la passion. C’est la passion qui apporte le vernis supplémentaire à ce que l’on fait et pourquoi on aime passer autant de temps à le faire et c’est l’absence d’âme, d’humain et de passion qui rendent les images générées par IA froides et vides car derrière, il n’y a rien.
Je suis meilleure que l’an dernier et moins bonne que l’an prochain — si l’on peut vraiment quantifier des compétences, c’est un autre débat j’imagine — et toute ma vie je continuerai d’apprendre parce qu’il y a quelque chose de magique dans le fait d’apprendre : ce n’est jamais terminé. Ce n’est pas le talent qui fait devenir quelqu’un incroyablement bon dans quelque chose : c’est la passion. La joie passée à exercer une pratique, cette étincelle toute particulière que l’on ressent lorsque — dans mon cas l’illustration — l’accumulation de traits forme ce que l’on avait en tête, le mélange de couleurs nous fait obtenir une couleur toute particulière, exactement celle que l’on recherchait, ce sentiment précis ressenti dans le ventre qui fait que l’on ressent les couleurs, que l’on sait en voyant un tableau quelle quantité de bleu, de jaune et de rouge il a fallu pour obtenir ce vert un peu brun un peu éteint. On le sait parce que toutes les années d’apprentissage nous permettent de connaitre sur le bout des doigts le fonctionnement des couleurs.
Il ya un côté magique avec l’apprentissage encore : il ajoute à ce côté très froid des compétences un aspect émotionnel, un ressenti, de la vie.
Si je voulais adopter un discours simpliste je dirais que tout le monde peut dessiner et que l’Art est accessible à tout le monde. On pourrait se dire au premier abord que c’est vrai. Après tout, internet est à la portée de tout le monde si il n’y a pas de musée à proximité, tout le monde peut aller se renseigner. Dans la réalité, ce n’est pas aussi simple que ça pour des questions économiques, sociales et culturelles. Et si tout le monde pouvait se renseigner, les fake news seraient débunkées par tout le monde dès leur apparition maaaaaaaais c’est un autre sujet. L’Art est classiste et ne devrait pas l’être. Tout le monde ne vit pas dans une grande ville ayant des musées ou des installations culturelles ou bien a la possibilité et le temps d’y aller, que ce soit en étant enfant (le meilleur âge pour s’y initier !) ou adulte et une fois l’âge adulte atteint, c’est déjà plus compliqué. Et c’est en ça je pense qu’il y a tant d’incompréhension autour du fait que l’IA et l’Art n'ont rien à voir. Apprécier l’Art et le comprendre prend du temps mais prend aussi des ressources auxquelles tout le monde n’a pas accès. Personne ne nait en comprenant pourquoi l’Art Contemporain ce n’est pas si ridicule que ce que l’on pourrait penser et pourquoi ce Bleu précis est plus qu’un bête bleu.
Et je pense que c’est là tout le coeur du problème de pourquoi les gens ne comprennent pas à quel point l’utilisation de l’IA nous fait fulminer lorsqu’il s’attaque au coeur même de nos vies. Et j’en ai assez de voir qu’ils pensent qu’on ne comprend rien, c’est David contre Golitath, l’émotionnel est diminué et rendu risible quand c’est l’émotionnel même qui permet aux générateurs d’images d’exister et de piller parmi des millards d’images.
L’an dernier, professionnellement c’était désastreux. Cela faisait des mois que c’était compliqué, je ne trouvais pas de nouveaux contrats, j’étais sous-payée, je pleurais le matin devant mon ordinateur en travaillant et pourtant lorsque j’en parlais à ma psychologue qui avait suggérait en premier lieu d’essayer de trouver une activité sans aucune attache, je refusais en bloc. C’est un privilège je le sais, j’avais la possibilité de ne pas devoir aller chercher un travail alimentaire, mais je lui disais que c’était inenvisageable. Ne plus exercer mon métier ce serait un peu comme mourir à l’intérieur. Je sais que ça sonne peut-être excessif mais c’est dire à quel point, tout ça c’est ma vie entière. Je suis incapable de faire autre chose : pas que en terme de compétences mais en terme de vie. Ne pas exercer ce métier n’aurait aucun sens, c’est ce pour quoi je me lève, ce qui m’anime, ce qui donne de la valeur à tout. L’Art est viscéral pour moi et je n’imagine pas une seule minute faire autre chose.
L’Art est conceptuel, intangible, il ne se quantifie pas, ne peut pas s’évaluer sous la forme de compétences ou bien de cases à cocher. Même lorsque l’Art peut se toucher, qu’il se matérialise sous la forme d’une toile, d’une poterie, d’une sculpture de bronze, on pourrait se dire que l’Art doit se comprendre pour s’apprécier pleinement… et en même temps, pas vraiment. N’importe qui peut ressentir quelque chose devant une toile : que l’on ait passé des années à étudier l’Histoire de l’Art ou bien que ce soit la toute première fois que l’on se tienne devant une toile Classique, les émotions ressenties seront réelles et l’une n’aura pas plus de valeur qu’une autre. D’un côté on ressentira tout le poids de l’Histoire, le choix de placement des personnages, les angles, la lumière, ce chien peint dans un coin de la toile et sa symbolique, de l’autre ce qui ne pourra pas se nommer pourra quand même exister : l’émotion de la lumière, des expressions des visages. Pourquoi ce tout petit tableau délaissé dans le coin d’un musée nous touche autant nous et personne d’autre. Pourquoi ce morceau de musique nous donne des frissons, ce film nous parle tant, cette photographie nous donne les larmes yeux. On ne sait pas exactement pourquoi mais on le ressent, il y a quelque chose.
Mais c’est cette émotion qui est à double tranchant. On nous a appris à ne plus prendre le temps d’apprécier, insidieusement et sans même donner notre accord, on a trop rapidement appris à avoir tout, tout de suite. On n’a plus le temps d’attendre, de regarder, d’écouter, de comprendre. On n’a plus le temps que de consommer.
En 2017 The Guardian écrivait un article à propos de Netflix et de ce qu’ils estimaient être leur plus gros concurrent : notre sommeil2. Que ce temps de sommeil a une valeur monétaire et que leur but est de nous rendre accro, nous faire regarder un épisode de plus, puis encore un de plus, et encore un de plus et de ne pas dormir à la place, de bingewatcher, d’avaler des séries entières sans jamais s’arrêter. De nouvelles séries récemment sont revenues à l’ancien modèle, celui où l’on attend chaque semaine le nouvel épisode, où l’on apprécie ce que l’on regarde et où l’on ne consomme plus.
Et j’adore ça. Ça fait du bien, de prendre son temps.
8 ans plus tard ce n’est plus uniquement notre sommeil qui est le plus gros concurrent de toutes les plateformes disponibles, que ce soit celles de streaming ou les réseaux sociaux de manière plus générale, c’est notre temps de cerveau : notre attention et notre capacité de réflexion qui sont des enjeu cruciaux pour eux. On — je m’inclue dans le lot je ne suis pas mieux que tout le monde — s’est habitué à avoir accès à tout de manière quasi immédiate et s’en affranchir est une vraie gymnastique mentale en plus d’être un réel effort. À mes yeux cette rapidité quasi instantanée vide tout de tout son sens. Prendre le temps fait apprécier ce que l’on a sous les yeux.
Consommer fait considérer le monde comme un vaste fast food. Un aliment rapide, qui se prend dans la main, qui se mange en moins de 5 minutes pour pouvoir reprendre le cours de sa vie et pouvoir aller consommer autre chose. Une série, un film, un album de musique et recommencer en boucle, en boucle, en boucle. Il y a trop d’images, trop de tout. Il faut constamment renouveler les étagères des librairies, mettre de côté les nouveautés, mettre au pilon3 les livres qui ne sont pas assez vendus, qui ne rapportent pas assez. Il faut proposer de quoi consommer, ne pas laisser le temps au temps.
Et parmi tout ça, il y a l’intelligence artificielle. Et je ne comprends pas.
Et je me demande pourquoi les gens tiennent tant à être appelés artistes. Si ce mot a tant de valeur à leurs yeux, pourquoi retirer cette même valeur à l'Art en le rendant jetable, rapide et sans âme et en le faisant devenir un produit à consommer.
Vraiment je ne comprends pas que l’on fasse autant de place à ce nouvel outil sans prendre en compte à côté l’impact et toutes les problématiques qui y sont liées. De s’y jeter à corps perdu et de peut-être dans quelques années comprendre qu’on aurait dû faire plus attention et faire mieux. Que l’on crache aux visages de toutes les personnes qui dédient leur vie à l’Art. Qui passent des heures et des heures à faire et sans qui l’IA ne pourrait exister.
Il n’existe pas d’IA éthique. Ce sont des arguments utilisés qui ne fonctionnent pas. L’essence même de l’IA ne l’est pas, éthique : pour exister elle doit piller. Et ce qu’elle utilise, ce sont des ressources énergétiques monstrueuses (les études n’en sont qu’à leurs débuts et l’empreinte carbone précise de ces outils manque encore de beaucoup de transparence pour pouvoir en évaluer l’impact) et ce sont des quantités astronomiques de datas puisées sur internet sans obtenir aucun accord de la part des personnes dont elles sont tirées. L’un n’est pas plus important que l’autre mais l’angle que j’ai choisi pour en parler vous vous en doutez concerne l’aspect éthique humain et ce qui me concerne.
C’est une insulte au principe même du droit d’auteur : tout ce que vous créez est automatiquement protégé. Personne ne peut vous le soutirer, personne ne peut le modifier et ce qui est à vous est à vous et seul un contrat peut vous permettre de donner ou d’obtenir l’autorisation de s’en servir selon des termes précis. Des termes de durée, de plateforme et de territoire. 3 ans, à la télévision, sur le territoire français. 5 ans, sur des supports web, sur le territoire européen. 15 ans, sur des supports imprimés, sur le territoire mondial. Tout ça, ce sont des termes que vous choisissez et qui ont une valeur. Une fois la durée écoulée, un contrat doit être recréé ou alors l’œuvre4 ne pourra plus être utilisée. Le problème avec l’IA, c’est qu’elle ne demande pas l’autorisation, qu’elle outrepasse la propriété intellectuelle et la branche concernant le droit d’auteur.
Comment alors parler d’éthique lorsque l’outil ne peut exister que par le vol ? Cette notion de vol est subtile parce qu’il ne se voit pas, que l’on ne voit pas lorsque l’on voit une image créée à partir d’un tel outil que quelqu’un a été volé.
Après tout, est-ce que les artistes ne s’inspirent-iels pas continuellement ? Quelle est la différence entre le vol et l’inspiration ? Pourquoi est-ce qu’utiliser de l’IA pour créer une image ne relèverait-il pas non plus de l’inspiration ?
Honnêtement, cet argument, j’en ai assez. Et parfois je crois qu’on a le droit de refuser de débattre et de perdre notre temps face à des arguments fallacieux. Car c’est cette rhétorique hypocrite qui déplace le sujet, qui rejette la faute sur les artistes, nous fait passer pour des personnes incapables de réfléchir, uniquement dirigées par l’émotionnel. C’est cette rhétorique qui coupe le débat et qui empêche tout le monde de contester ce qui est contestable. Et pendant que l’on débat sur la différence entre vol et inspiration, on n’agit pas sur le coeur du problème et on laisse ces outils continuer de s’approprier sans autorisation. L’IA ne peut et ne pourra jamais être éthique car son existence même repose sur l’exploitation d’autrui. Si vous allez chez quelqu’un et que vous vous emparez d’un object pour l’emmener chez vous sans avoir demandé l’autorisation ou eu l’accord de la personne à qui l’objet appartient, c’est du vol. Si les enfants peuvent comprendre cette notion, pourquoi est-ce si difficile à admettre ? Ce qui est simple n’a pas à être rendu compliqué.
Parmi les arguments que je vois le plus passer il y a celui de l’apparition de la photographie. À mes yeux, c’est un argument paresseux qui donne l’impression à la personne s’en servant de paraître éduquée, de savoir de quoi elle parle et d’avoir suffisamment réfléchi au sujet pour avoir le droit de donner son avis.
Permettez-moi une parenthèse : nous ne sommes pas toujours obligés de donner notre avis à propos de tout. On peut ne pas tout savoir et on peut aussi se taire.
L’argument donc est simple et est le suivant : l’IA, c’est la même chose que lorsque la photographie est arrivée. La même chose que lorsque les presses typographiques sont arrivées, que l’on a pu commencer à dessiner par ordinateur, que l’on a créé les voitures pour remplacer les calèches.
Sauf que tout ça est faux. Si la photographie a probablement pu faire peur lors de son apparition puisqu’elle a permis de reproduire exactement ce que l’oeil humain pouvait voir, celle-ci n’a pas remplacé la peinture car tout comme la peinture à l’huile est différente du pastel, la photographie est un outil de création qui n’utilise pas la peinture pour exister. L’un et l’autres peuvent exister indépendamment. Tandis que l’IA, dans son fondement même, n’existe que parce que l’on a créé avant. Je peux toujours dessiner si je n'ai pas accès à un ordinateur ou à internet. Tandis qu’en utilisant une IA Générative, sans savoir dessiner vous ne pourrez techniquement pas et surtout vous ne saurez pas comment. Que ce soit de l’IA générative pour créer des images ou bien la base de ChatGPT lorsque vous lui posez une question ou bien même encore Google tout simplement, ces outils ne peuvent fonctionner que parce qu’ils peuvent aller puiser dans une gigantesque base de données pour vous donner ce qu’ils considèrent correspondant à la demande que vous leur avez faite.
Et ces requêtes, elles requièrent des ressources, le documentaire Les Sacrifiés de l’IA diffusé par Françe 2 5 l’aborde. Des données, des ressources d’exploitation humaine mais des ressources environnementales également. Ce sont des personnes exploitées qui entrainent les IA. Ce qu’on appelle des data workers qui, sans surprise, sont exploités et ne sont évidemment pas correctement payés. OpenAI utilisait jusqu’à 2022 un prestataire externe, Sama, une firme basée à San Francisco qui exploite des travailleurs Kényans, Ougandais et Indiens pour notamment entrainer ChatGPT6 à reconnaitre et détecter du langage toxique et violent et le retirer de leur plateforme. Ce sont plusieurs dizaines de milliers de personnes qui se sont retrouvées à traiter pour environ $1.50 USD des situations décrites de manières très graphique et explicite parlant entre autre de meurtre, de viol, d’inceste, de suicide ou de contenu pornographiques violents.
Pour que l’IA puisse exister, elle doit utiliser ce que l’on appelle tristement des ressources humaines. Et ces ressources doivent être nombreuses, aller vite et coûter le moins cher possible pour optimiser le plus possible les profits générés. Tout ça au prix de l’éthique et du respect humain, ce ne sont que des ressources. En Finlande, c’est vers une prison que la startup Metroc7 s’est tournée : pour 1.54€ de l’heure, des prisonniers entrainent des Chatbots à répondre aux questions de leurs utilisateurs.
Peut-on vraiment donc continuer de naïvement défendre la possibilité que l’IA devienne un jour éthique quand son fondement même ne l’est pas et repose sur l’exploitation de travailleurs sous payés ou bien le vol de data. Ce serait comme espérer qu’une maison tienne la route lorsque ses fondations sont faites de bois pourri et de morceaux de carton humide. Ce serait ignorer que ce qui compte pour les GAFAM et les entreprises à la tête de ces outils ce n’est pas comment les choses sont faites mais comment les faire le plus vite, avec le moins d’argent possible et dans le but de générer le plus de profit possible sans aucune redistribution aux travailleurs. Capitalisme, vous avez dit ?
Enfin, je lis souvent que l’IA rend l’Art accessible au plus grand nombre. Qu’ils permettent aux personnes sujettes à des handicaps de pouvoir créer de l’art. Laissez-moi rire. C’est le même argument utilisé par les personnes contre l’écriture inclusive qui soudainement se rappellent que les personnes dyslexiques existent et qui s’en servent pour s’ériger contre le point médian (en oubliant tout ce qui forme l’écriture inclusive) lorsque le restant du temps, les conditions de vie et le respect des personnes handicapées n’a pas la moindre place dans leurs pensées.
L’Art a toujours été accessible au plus grand nombre, pas besoin de savoir peindre le plafond d’une chapelle ou sculpter du marbre pour y avoir accès, un simple crayon à papier suffit pour déjà en pousser les portes. Lorsque j'étais au lycée, je dessinais constamment avec un bête Bic bleu, l’outil le plus simple qui puisse exister et pourtant, j’adorais m’en servir. C’est parce que l’on érige l’Art comme étant quelque chose d’incroyable et d’inaccessible qu’on en vient à vouloir le produire plus rapidement et automatiquement.
Mais ce n’est pas grave de ne pas savoir faire. Ce n’est pas grave de mal dessiner, de galérer, de mettre du temps à dessiner une maison, un portrait, un arbre. Tout le monde commence en débutant et c’est tout ce qui fait que créer a ce quelque chose de magique. Et même quand on sait dessiner ça nous arrive quand même de mal dessiner. Ce qui compte ce n’est pas le résultat mais le plaisir que l’on y a passé. Par contre, c’est grave de voler le travail d’autrui, de voler tout le temps passé, les années passer à apprendre à faire et de penser que ce qui a été généré relève de sa propre création. Trouveriez-vous ça éthique d’aller aller voler la médaille d’un·e athlète puis la revendiquer comme étant la vôtre sans n’avoir jamais appris à en pratiquer le sport ? Maintenant, imaginez que vous êtes l'athlète et que quelqu'un est venu vous voler votre propre médaille, celle pour laquelle vous vous êtes entraîné·e toute votre vie, pour laquelle vous avez mis toute votre passion et tous vos efforts, et que cette personne dit qu'elle l'a gagnée et qu'elle lui appartient. Que ressentez-vous donc ?
Je ne veux pas dessiner plus rapidement, je ne souhaite pas atteindre le résultat escompté en moins de temps, ce qui m’importe ce n’est pas uniquement le résultat c’est tout le temps passé et le plaisir éprouvé à mettre peu à peu en forme une image, qu’elle soit faite de manière numérique ou traditionnelle. Je veux continuer d’être frustrée lorsque pendant plusieurs jours je n’arrive pas à dessiner ou que tout ce que je fais est moche. Je veux continuer d’apprendre par moi-même, de faire en sorte que ce que je crée n’appartient qu’à moi, m’est personnel et découle de ma propre vie. Je veux continuer de soutenir d’autres artistes, comprendre comment cette personne dont j’adore le travail pour continuer d’améliorer ma pratique, continuer de m’inspirer — pas copier —, de regarder autour de moi et de puiser dans tout ce qui fait mon quotidien pour pouvoir créer. C’est cette joie profonde, ce truc particulier que je ressens et que je ne parviens pas à décrire, presque viscéral, qui fait que ma vie entière tourne autour de l’art. Cette hâte que j’ai le soir en m’endormant quand j’ai soudainement une idée en tête et qu’il me tarde de la mettre en forme, ce plaisir que j’éprouve quand je vois une illustration peu à peu prendre en forme, cette excitation chaque matin de me lever pour continuer de travailler sur un projet pour un client, un client qui me paye pour faire ce que je préfère faire au monde : dessiner.
Nous ne sommes pas des imbéciles heureux à croire que l’on peut vivre d’amour et d’eau fraîche et à refuser ce que d’autres pensent comme étant une révolution dans le monde de l’Art, nous croyons juste fermement en la nécessité de protéger ce qui fait que l’on est humains. De protéger les droits, de nourrir notre éthique et de préserver le principe même du processus de création qui fait que tout ce que l’on crée a une âme et une histoire et n’est pas complètement vidé de son sens par le simple fait de taper un prompt qui ira puiser dans le travail de quelqu’un d’autre pour exister. Je ne veux pas d’un monde où l’art n’est plus créé par l’humain et rendu fade, triste et terne en étant dénué de tout le temps passé avant ça à apprendre à faire et de toutes les essais et erreurs qui ont mené petit à petit à le faire.
Si La Joconde est le tableau le plus célèbre dans le monde ce n’est pas uniquement pour son aspect mais pour son Histoire, pour le mystère autour de l’identité de cette femme aux mains croisées, pour son utilisation du sfumato, cette technique bien particulière de peinture utilisée par Léonard de Vinci qui donne aux tableaux utilisant cette méthode cette impression douce et vaporeuse. Si ce tableau est connu c’est pour tout ce qu’il y a derrière et non pour son résultat seul.
On se fait bien avoir à encourager des outils qui poussent à faire plus vite ce qui donne de l’essence à nos vies tandis que les conditions de vie dans le monde ne s’améliorent toujours pas et que les plus riches continuent de s’enrichir via ces mêmes outils. L’inverse ne serait-il pas de faire en sorte de moins travailler pour avoir plus le temps de créer, passer du temps dehors, prendre soin de son potager et de la communauté autour de soi ? Je pensais que le but c’était ça.
On pourrait penser que cette newsletter est là pour rendre sacré l’Art, qu’on ne peut pas en discuter, le critiquer, le remettre en cause. Mais pas du tout, l’Art n’a rien de sacré, la création non plus. Ce n’est juste que de l’art. On s’en fiche que vous dessiniez bien ou mal, que l’on soit connu·e ou non, l’essentiel n’est pas là dedans, il est dans le fait de trouver de la joie dans ce qu’on fait. Que ce soit en dessinant sur un coin de table ou bien sur une grande toile, on ne sauve pas des vies, on fait juste des trucs avec nos mains juste parce qu’on trouve ça chouette. Pourtant, tout individu mérite le respect et ce que l’on crée par extension. Face à moi dans mon bureau j’ai cette petite carte ci-dessus que j’ai encadrée, je l’avais achetée dans un lot il y a quelques années sur la boutique de l’illustratrice Marloes De Vries (ce lot de cartes ne semble plus être vendu depuis) dont j’adore le travail. Elle me rappelle que ce n’est que de l’Art. Que ce n’est pas vraiment sérieux et que lorsque je me sens particulièrement stressée par un travail en cours, ce n’est pas grave et que tout va bien aller. Mais c’est aussi ce que j’aime le plus faire au quotidien et c’est la passion que j’éprouve pour le fait de créer qui me fera continuer de tant le défendre.
Continuons d’aimer ce que l’on fait, de se soutenir, de soutenir les autres personnes. Nous achetons des objets aux artistes parce que nous toute la passion qui a été mise à l’intérieur et que nous savons que ça a de la valeur, et non pas pour la vitesse à laquelle une sculpture, une peinture ou un roman a été fait. Je sais que cela semble souvent un peu utopiste parce que rien ne nous pousse vraiment à continuer de nous respecter les uns et les autres et qu’on traverse une époque qui nous pousse à nous diviser mais si l’on baisse les bras, à quoi bon vraiment ?
Et si j’ai l’air d’être naïve, au moins moi, je sais dessiner des mains.
En vous écrivant, j’ai aussi écouté…
J’ai à cœur de faire de ce Substack un espace de partage et de conversation et pour ça, j’aimerais beaucoup lire vos pensées alors n’hésitez pas à réagir via l’espace de commentaires ci-dessous !
Un artiste est un individu faisant une œuvre, cultivant ou maîtrisant un art, un savoir-faire, une technique, et dont on remarque entre autres la créativité, l'inventivité, l'originalité de sa production, de ses actes, de ses gestes.
Netflix's biggest competitor? Sleep — https://www.theguardian.com/technology/2017/apr/18/netflix-competitor-sleep-uber-facebook
Lorsqu’un livre n’est plus assez vendu, on dit qu’il est mis au pilon : il est d’abord proposé au rachat au prix coûtant aux personnes qui ont travaillé dessus pour qu’elles essayent de le vendre par elles-mêmes. Les exemplaires invendus, les exemplaires abimés et tout le stock restant sont détruits.
J’utilise le terme d’œuvre pour son sens premier. Pas de notion de qualité ici : on parle d’un œuvre pour désigner un objet physique ou virtuel résultant du travail humain ou d’interactions naturelles. À l’inverse de l’œuvre qui a la même orthographe qui désigne l’ensemble de ce qu’un·e artiste a produit.
Les sacrifiés de l’IA - Documentaire diffusé par France 2 le 11 février 2025.
Je suis de tout coeur avec toi Florence. Je suis effrayée par l'IA et ce que le monde semble vouloir en faire, à la fois tout et rien. C'est vertigineux et je suis fatiguée...
Je suis dÄAccord avec toi , Il n'y a rien de créatif dans l'AI. L'AI peut aider a optimiser des processus, mais sans copier et voler le travail d'autres artiste, l'AI ne serais pas capable de créer. Je trouve cela triste de voir combien de personnes pensent etre artistes car ils peuvent taper quelques prompts dans chatGPT et vendre leurs travails, sans se rendre compte du nombres d'heures et d'annés d'experience cela nous prend pour créer des illustrations.