No 24. Choisis un travail que tu aimes, et tu n'auras pas à travailler un seul jour dans ta vie
Saison 3, épisode 3 - Celui où je tambourine le sol de mes poings en criant que le monde est injuste
Hello ! Je suis Florence, franco-canadienne vivant à Montréal depuis 2018. Au quotidien j’aime aussi écrire et partager ce à quoi je pense : vous savez, toutes ces pensées qui tournent en boucle lorsque l’on s’endort ? Ici, c’est ça ! Je suis ravie de vous voir ici alors merci de partager ce moment avec moi ! Pour me soutenir vous pouvez vous abonner à ma newsletter et en choisissant un abonnement payant, vous contribuez directement à me soutenir et à faire perdurer cet espace d’écriture.
Pendant que j’écrivais cette newsletter j’ai notamment écouté…
Quel bullshit.
Fin de la lettre d’aujourd’hui, passez une bonne journée et mille mercis comme toujours de m’avoir lue ! ❤️
Je plaisante, ne partez pas tout de suite !
Début 2024, je commençais un énième nouveau brouillon de lettre et j’écrivais ces mots :
“C’est la première fois de ma vie : je suis en burn out. Après plusieurs mois à tirer sur la corde et à pousser le plus possible dans l’espoir que tout s’arrange, j’ai terminé 2023 complètement au bout de mes ressources, forcée de m’arrêter sans date de reprise en tête. J’ai depuis arrêté de travailler depuis mi-décembre pour prendre du repos et m’offrir la meilleure chose que l’on peut s’offrir dans ces cas là : faire un point personnel et me donner le temps de penser en faisant autre chose que de m’enfouir sous le travail. Et réfléchir à la direction que prend mon métier malgré moi et à quel point mon quotidien s’est vu impacté par celui-ci.”
À ce moment là, si je me suis tant ébréchée c’est parce que j’ai mis énormément de temps à m’arrêter parce que j’avais peur et que je me sentais si nulle d’avoir l’impression d’échouer après avoir essayé de trouver mille et une solutions. J’avais peur de l’argent. Peur de me retrouver à zéro. Peur d’être encore plus dépendante de mon conjoint qui si même il est d’un soutien sans faille reste la personne avec qui je partage ma vie et à qui je ne souhaitais pas rajouter ce poids en plus. C’est chiant, l’argent.
Puis les semaines ont passé et cette pause s’est peu à peu frayée un chemin dans mon cerveau. Je me souviens à ce moment là que la peur s’est un peu adoucie, qu’elle était toujours là et que bien malgré moi, de par mon choix de métier elle sera toujours là d’une certaine manière mais elle a commencé à se métamorphoser et à me laisser de la place pour réfléchir.
Je craignais beaucoup de m’arrêter à ce moment là parce que j’avais peur que mon monde s’arrête de tourner. Comme si se stopper était mettre un point final à tout ce que j’avais fait, aux 8 ans de vie active et aux petites briques que j’avais empilées les unes après les autres. Mais finalement, après plusieurs semaines à avoir fortement ralenti (j’avais repris bien malgré moi le travail pour travailler sur quelques petits contrats et ne pas me retrouver complètement avec un compte en banque à zéro, ce n’était certainement pas une bonne idée mais la peur nous fait faire des choix contraires à ce qu’il faudrait faire) je me suis retrouvée face à une peur complètement différente : j’en avais assez de travailler.
J’étais surprise. Je ne pensais pas du tout en arriver à cette pensée là alors même que je m’étais refusée de m’arrêter de travailler jusqu’au moment où mon corps s’est chargé seul de prendre la décision. Comme un train dont on actionne les freins d’urgence alors que la prochaine gare est encore loin : tout le monde descend, problème technique ! Ma locomotive en avait eu trop.
Pourtant durant toutes ces semaines même si je me souviens m’être parfois un peu ennuyée, j’ai commencé à réapprendre à apprécier de passer du temps pour moi. Je me suis mise à peindre, j’ai regardé des séries, regardé par la fenêtre en attendant le printemps et ai apprécié de dédier mon quotidien à autre chose que le travail. C’était doux, calme et silencieux. Je me sentais incroyablement riche en regardant le fond de mes poches vides. Ça me faisait penser à la même sensation physique que j’avais eue lorsqu’une année j’avais coupé mon accès aux réseaux sociaux.
Du calme et du silence. Une douce chanson agréable.
Parmi les sujets qui reviennent le plus souvent à mon esprit il y a le rapport à l’argent, à la vie, à la création et à nos métiers lorsqu’ils relèvent de la création et surtout à quel point tout ceci est terriblement trivial. Je n’ai pas saisi consciemment lorsque j’ai fait le choix de me lancer directement en freelance juste à la fin de mes études en 2016 à quel point ce choix était particulièrement révélateur de mon rapport au travail. J’avais étudié pendant 6 ans, il fallait trouver quelque chose, j’ai tenté et ça a fonctionné.
Pourtant, travailler j’adore ça, je suis passionnée par mon métier et c’est un privilège infini de pouvoir exercer quelque chose que j’aime. Pourtant, comme tout le monde chaque jour je me lève avec comme objectif le fait de gagner de l’argent. Je me lève contente en pensant à ce sur quoi je vais travailler (parfois non, comme tout le monde), mais je me lève pour payer mes factures.
C’est stupide. Gagner de l’argent pour avoir le droit de vivre. À quel point tout ceci est tant engraîné dans nos têtes que c’est devenu d’une banalité-normale et qu’il est insensé de le remettre en question. Je me souviens il y a quelques années, en 2017, j’avais écrit un article sur mon blog où je parlais du travail et du bonheur. C’était en plein pendant la période électorale, juste avant le début du premier mandat de Macron (vous savez celui auquel tant de gens font désormais référence en disant la moue un peu désolée “mais on ne savait pas !”. Si, si, on savait il suffisait de lire son programme, merci pour rien) et en dessous, il y avait ce commentaire que j’avais compris mais pourtant trouvé si triste.
(…) J’ai un esprit un peu trop terre-à-terre peut-être, mais après avoir vu ma mère s’esquinter la santé pendant 20 ans à l’usine, je tique un peu en entendant des gens qui ne veulent « rien » faire et qui veulent quand même être dédommagé… Je n’attaque personne et je respecte les choix de chacun, et je suis pour le fait de changer de voie et de tenter sa chance dans autre chose pour être plus heureux, mais si on veut quelque chose de la société, il faut donner en retour :)
Il était tellement révélateur de tout ce que l’on a réussi à nous entrer dans le crâne en nous faisant croire que c’est normal. Que c’est comme ça, qu’il faut haïr les autres et ne surtout pas souhaiter mieux. Parce qu’au final on est persuadé qu’il faut absolument donner pour avoir le droit d’avoir quelque chose en retour de notre société mais est-ce que le rapport n’est actuellement pas complètement déséquilibré ? Que l’on donne déjà tant et que les miettes données en retour sont si vaines en comparaison ?
On entend en boucle le fait que l’argent est tabou, que l’on déteste parler d’argent, que (je cringe en tapant ces mots parce qu’ils font partie de ceux qui me font soupirer, lever les yeux au ciel et secouer la tête de dépit tellement c’est débile) les français détestent parler d’argent.
L’argent est partout, mais on évite d’en parler. Et si en Amérique du Nord on pense qu’ici c’est différent, aux USA d’autant plus, c’est parce que l’argent régit encore plus tout. Que sans argent il n’y a rien parce que leur modèle est injuste et ne donne aucun choix. On dit souvent que c’est tabou, mais en réalité, c’est surtout parce que la plupart des gens galèrent. Ce n’est pas tant qu’on "déteste parler d’argent", c’est qu’on sait que le système est injuste. Qu’il profite à ceux qui ont les moyens de l’exploiter pendant que les autres comptent les jours avant la fin du mois. Call me woke-extrémiste quand ce sont juste des valeurs de gauche incroyablement basiques, comme le B-A-BA que devrait être une vie respectueuse en société. Que l’argent devrait être un non-sujet tant il n’a absolument aucune valeur.
Si le montant que l’on a sur son compte en banque décrivait la valeur que l’on a en tant qu’individu alors Elon Musk serait le meilleur de nous et pourtant, il salue la foule de ses saluts nazis et piétine toute notion de respect de l’humain sans pression, agrippé à sa tronçonneuse argentée ridicule.
Et pourtant, on continue d’échanger notre temps de vie contre de l’argent, comme si c’était une évidence. Comme si ce n’était pas profondément absurde. Ce modèle est tellement ancré qu’on ne le questionne même plus. Pire, on nous a appris à mépriser et à considérer comme ceux qui veulent en sortir comme étant marginaux, comme si vouloir autre chose que travailler toute sa vie était une forme de paresse un peu originale, clownesque et ridicule. J’ai toujours entendu mon père parler de son père décédé peu de temps après avoir pris sa retraite et ne jamais avoir pu en profiter. Et c’est ça, l’injustice. Se dire qu’on aura le temps après, après l’avoir mérité.
Quand j’ai fait ce choix d’être freelance, je n’ai pas réalisé à quel point ce choix révélait mon rapport au travail. Je pensais juste que c’était une manière d’être plus libre, d’échapper aux contraintes d’un emploi classique. J’en parle souvent avec ma psy, la conclusion récente et que mon temps libre avait bien plus de valeur - pour moi en tout cas et pour les quelques exemples que j’ai eu lorsque j’étais encadrée par un contrat et des heures fixes - que l’argent et le confort d’un travail fixe. Qu’échanger ce luxe contre de la stabilité c’était échanger un peu de mon répit instable contre l’assurance d’être triste. Mais après presque dix ans, je vois bien que, même en étant indépendante, je suis toujours coincée dans ce même cycle et que ça ne changera jamais vraiment : chercher du travail, remplir mon agenda, me demander ce qui arrivera une fois ce projet terminé. Parce que tant que l’argent reste notre moteur, l’indépendance n’est qu’une vague illusion.
J’ai l’impression de ne pas parvenir à quitter cet état un peu adolescent de trouver le monde injuste mais je me souhaite de le trouver toute ma vie injuste tant que rien n’aura changé. Que lorsque je me questionne sur ces sujets et que j’écris à leur propos par ici, mes considérations seront prises sous le prisme de questions d’une enfant de 10 ans qui découvre que Hey, la vie n’est pas faite que de roulades dans l’herbe et de gâteau au chocolat un peu sec.
J’ai toujours cette peur au ventre jamais bien loin, je travaille depuis l’été dernier pour un gros client qui me permet enfin d’être un peu plus sereine mais à côté de ça, j’essaye de penser le moins possible au fait que ce n’est probablement que temporaire puisque c’est de cette manière que fonctionne mon métier. Que j’enchaine les recherches d’emploi et les périodes de chômage mais sans la partie chômage, juste la partie journées vides.
Alors comment on fait ? Comment on sort d’un système où travailler moins, c’est prendre un risque, et où l’on doit sans cesse prouver que l’on "mérite" de vivre ? Qu’il n’existe pas vraiment de porte de sortie si ce n’est peut-être de remporter une somme monstrueuse à la loterie pour avoir enfin la chance de ne plus avoir le gain d’argent comme objectif mais plutôt notre propre bonheur et celui des personnes qui nous entourent ?
Ces derniers mois j’ai essayé petit à petit de trouver un rythme qui pourrait mieux me convenir.
J’ai vu les effets désastreux d’un burn out sur le corps et même si c’est compliqué, je m’efforce de trouver comment bousculer un peu cet équilibre parce que notre santé et nos corps ne méritent pas ça. Même en travaillant à son compte on n’a pas vraiment d’autre choix que de travailler sans arrêt lorsqu’il s’agit de respecter des deadlines mais je vois bien que les semaines où je réussis à insuffler un peu d’air entre mes heures de travail, tout semble un peu plus facile lorsque je fais de la place à un peu de temps libre. Comme si ces moments d’oxygène mental me rappelaient que la vie ne se résume pas à une liste de tâches à cocher alors que pourtant, tout ça est bien évident.
Une forme d’urgence tambourine à nos portes : faire différemment, mieux peut-être ? De plus en plus de personnes réalisent que ce rythme insensé ne fonctionne pas. Que l’on ne peut pas faire grand chose contre l’injustice autour de nous et que pour notre propre bienêtre le besoin de se recentrer sur nous-mêmes nous entoure – pas par égoïsme, mais par nécessité.
Que ça ne fonctionne pas et que l’on a besoin de se recentrer sur nous-mêmes. Pas de manière égoïste mais de manière conscience pour le seul but de prendre soin de Nous. Et quel privilège c’est que de se prendre la tête dans mon coin à y réfléchir parce que j’ai le temps, que je ne suis pas à chercher comment survivre – vraiment survivre –, ça en est presque ridicule.
À chaque trajet en bus, en traversant la ville, je suis frappée par le luxe que représente l’espace. L’espace physique, mais aussi l’espace de vie : le temps, le choix, la liberté.
Ce sont toujours des sujets auxquels je pense lorsqu’il fait froid et que j’observe les murs m’entourant, me protégeant du monde extérieur et de ses bourrasques de vent qui brûle le visage. Je me souhaite pour vous laisser tranquille et revenir à des réflexions plus joyeuses que l’été revienne vite. Pour fermer mon ordinateur et aller chasser du temps, de l’espace et les rayons du soleil sur la peau pour savourer une impression de liberté, assise au pied d’un arbre à écouter le vent faire bruisser la canopée.
Peut-être que pour le moment rebousculer complètement la manière dont on fonctionne est impossible, mais peut-être que l’on peut choisir la manière dont on veut travailler et s’offrir la possibilité de penser au fait que l’on mérite mieux en s’offrant au moins le droit d’y penser (autour d’une grande limonade fraiche), ce serait déjà un bon début.
En vous écrivant, j’ai aussi écouté…
J’ai à cœur de faire de ce Substack un espace de partage et de conversation et pour ça, j’aimerais beaucoup lire vos pensées alors n’hésitez pas à réagir via l’espace de commentaires ci-dessous !
Ta réflexion fait écho à celle que j’ai depuis plus d’un an. J’ai fait un burn out en septembre 2023 et ai passé 11 mois en arrêt de travail. Pendant ce temps, j’ai été traité d’une manière inhumaine par mon entreprise, la cpam aussi, tandis que mon médecin généraliste, ma psy, me répétaient sans cesse que je devais me reposer et que je n’étais pas prête à reprendre, que ça prenait du temps et que c’était pas de ma faute.
Aujourd’hui je repense ma vie. J’ai quitté mon entreprise et ma carrière dans le marketing, je me reconvertis dans l’écriture. Je fais les plans pour revendre notre appartement et trouver un logement qui va correspondre à mes futurs revenus d’indépendante. J’ai accepté l’idée de gagner moins et d’adapter ma vie en fonction, parce que j’ai compris que j’y gagnerai aussi en temps libre et en bonheur.
Les gens qui érigent le travail en valeur centrale me hérissent le poil. Les gens qui considèrent qu’avoir fait des études justifie le fait qu’ils gagnent 6000 euros par mois alors que d’autres sont exploités au smic aussi. La classification des gens en fonction de leur poste, pareil. Bref, j’ai rejeté la méritocratie et la valeur travail en bloc. J’essaie aujourd’hui de concilier cette envie d’une vie douce avec les besoins financiers nécessaires à la vie tout court, et c’est compliqué dans ce monde.
Je nous souhaite de tous nous réveiller et comprendre que la façon dont on se tue au travail est inhumaine…
Mais tellement merci Florence de te livrer sur le sujet. Je m'y retrouve beaucoup, et passe pour une alien auprès d'une grande partie de mon entourage quand je dis qu'il faut faire attention à ce que le travail ne nous tue pas, que le temps est précieux, que je cotise juste assez pour l''indemnité chômage dont j'ai besoin pour passer plusieurs mois tranquille à lire, à dessiner, à vivre ma meilleure vie sans être salariée. Mes parents sont fiers d'être de la génération "j'ai jamais eu un seul arrêt de travail !". Moi j'ai fait dix ans d'études, une énorme dépression, plusieurs burnout, renoncé au métier de mes rêves (qui n'était finalement pas un rêve du tout), et j'ai appris très vite que l'argent est absurde... Eux et moi, on ne se comprend plus mais je ne le regrette (presque) pas parce que je suis tellement heureuse d'être libre de profiter de ma vie dès maintenant. Quand ça ne va pas, quand je me sens hors sol par rapport à nos sociétés, je relis certains textes, la plupart anarchistes, sur l'absurdité du travail et de l'argent, sur les droits des travailleur.ses, sur la servitude volontaire, sur la liberté. Ça me fait me sentir moins seule, ça me donne de l'espoir et quelque part la validation dont malheureusement j'ai toujours besoin pour me sentir légitime à "ne rien faire". Je crois qu'on est nombreux.ses de notre génération à ressentir ce que tu décrits, sans encore trop en parler.