No. 21 Fuck the Patriarchy : l'Art de porter des paillettes en concert et d'écouter en boucle Taylor Swift
Saison 2, épisode 8 - Quand l'adolescence ne nous quitte jamais vraiment lorsqu'on apprend à lui refaire une place
Hello ! Je suis Florence, illustratrice vivant à Montréal depuis 2018. Au quotidien j’aime aussi écrire et partager ce à quoi je pense : vous savez, toutes ces pensées qui tournent en boucle lorsque l’on s’endort ? Ici, c’est ça ! Je suis ravie de vous voir ici alors merci de partager ce moment avec moi ! Pour me soutenir vous pouvez vous abonner à ma newsletter et en choisissant un abonnement payant, vous contribuez directement à me soutenir et à faire perdurer cet espace d’écriture.
Pendant que j’écrivais cette newsletter j’ai notamment écouté…
Cette newsletter est un complément à quelques stories postées sur mon compte Instagram le 27 novembre dernier.
Jeudi 21 novembre dernier, sac à dos sur le dos j’étais en route pour filer un peu plus à l’ouest direction Toronto. 5h30 environ de train plus tard j’y étais, mon sac peinant à se refermer et garni de ma jupe en tulle bleue pâle, d’un petit pot de far à paupières doré plein de paillettes et de bracelets de perles ornés de bouts de paroles de chanson. Où j’allais ?
Au concert de Taylor Swift.
Vous savez que j’adore parler un peu plus que du moment en question en abordant des sujets rattachés et ce concert et Taylor Swift précisément sont tout deux une thématique parfaite puisqu’à mes yeux empreinte de ce mépris que l'on connait bien : celui qui est teinté d’une forme de misogynie bien désagréable mais ô combien ancrée dans nos vies. Que soit de la part des hommes, mais ça on est habituées finalement mais pire encore je trouve, de la part des femmes, de notre âge ou non.
J’ai vu plein de stories, d’articles, de posts à ce sujet passer ces derniers mois de la part de femmes que je suis ou non et à chaque fois j’étais juste déçue. Parce qu'il y avait ce relent adolescent que l’on espère parfois naïvement avoir quitté pour de bon qui pousse à dire à qui veut l’entendre que moi, je ne suis pas comme les autres et surtout, je n’écoute, ne regarde et ne lit rien qui ne soit trop populaire à mes yeux car si c’est populaire, c’est à classer directement au rang de sous-culture. Comme si il était absolument indispensable de clamer « haha non mais moi Taylor Swift je comprends pas hein, c’est nul non ? » alors qu’il y a plein de choses qui ne sont pas forcément de mon goût non plus mais j’essaie d’ouvrir un peu plus mon regard et d’alimenter ma curiosité pour ne pas tomber trop tôt dans cette case de la personne qui pense valoir mieux que ça.
Il y a plus de 10 ans lorsque j’étais avec mon ex tout ce que j’aimais, faisais ou écoutais subissait son jugement et ses moqueries et je détestais ça - sans vraiment à l’époque en distinguer toutes ses problématiques - parce qu’il n’y a rien de pire que de vous faire comprendre que la personne que vous êtes, c’est la honte, surtout de la part de la personne avec qui vous vivez. J’écoutais Taylor Swift en cachette, dans mes écouteurs et jamais sur mes haut parleurs, je n’osais jamais m’occuper des playlists en soirée parce que ça m’angoissait trop et avec mon recul d’aujourd’hui j’ai beaucoup de peine pour la moi du passé mais aussi pour toutes celles qui comme moi, hier ou aujourd’hui, taisaient ou taisent leurs goûts dans un espace qui devrait normalement être sécuritaire et sain.
10 ans plus tard, je mets désormais toujours la musique chez nous, Taylor Swift ne chante jamais à demi-mots sur nos haut parleurs, je gère les playlists, Flavien mon compagnon de vie était à côté de moi dans les gradins du stade de Lyon en juin, je montre les concerts à mes amis (hommes) et leur explique avec le plus de détails possible ce qui n’est évidemment pas aussi important à leurs yeux que ça l’est pour moi mais ce qui compte le plus c’est que je n’en ai plus honte parce que mon entourage est sain et que partager ce que l’on aime sans craindre d’entendre des moqueries en retour, c’est tout ce que je souhaite à tout le monde.
Avec Taylor Swift, on retombe donc sur ces mêmes discours auxquels l’on était habituées adolescentes, qu’écouter et adorer une artiste mainstream c’était la honte. Et en tant que femmes, on sait déjà que rien que notre existence est suggérée comme étant honteuse et moins bien que d’autres alors est-il vraiment nécessaire de tendre la jambe pour se faire des croche-pieds entre nous ? Je suis bien loin d’être parfaite à ce sujet et j’ai encore des réflexes un peu nuls mais je crois qu’encourager un tout petit peu plus le fait d’être une girl’s girl1 ferait vraiment du bien à tout le monde ! Absolument rien n’est honteux et absolument personne ne devrait nous faire ressentir ce sentiment, que ce soit parce que l’on écoute Taylor Swift en fabriquant des bracelets de perles ou bien que l’on a une passion secrète pour le tuning.
Tant que l’on ne fait de mal à personne, rien ne devrait nous faire nous sentir mal.
Si vous avez du mal à comprendre tout l’engouement autour de Taylor Swift alors il faut voir encore un peu plus au delà de sa musique et s’attarder sur les liens collectifs qu’elle a créé malgré elle entre des milliers et des milliers de personnes mais également l’impact majeur qu’elle a et a eu sur l’industrie musicale. Saviez-vous notamment qu’en 2014 elle a retiré l’intégralité de sa musique de Spotify, protestant contre la faible rémunération des artistes de la part de la plateforme puis en 2015 d’Apple Music, menaçant de ne pas y sortir 1989, l’album à l’époque faisant parti des plus écoutés aux États-Unis : à ce moment là, aucun royalties n’étaient reversés aux artistes si des écoutes étaient faites pendant les 3 mois de période d’essai d’un nouvel abonnement. Pour de gros artistes ça avait bien entendu un gros impact mais la problématique était d’autant plus importante pour de plus petits artistes déjà particulièrement précaires pour qui 3 mois d’écoute sans toucher le moindre droit (c’est drôle comme ça me fait toujours beaucoup penser à l’industrie du livre, wink wink) étaient désastreux. L’impact a été majeur, les négociations et l’ultimatum ont fonctionné et depuis, que des écoutes soient faites ou non durant la période d’essai d’un nouvel abonnement, chaque artiste touchera directement les droits lui étant dûs.
Sa tournée qui se terminera le 8 décembre prochain a été le catalyseur de sa popularité, la renforçant encore un peu plus elle et les liens collectifs qui s’y sont créés : imaginez une tournée qui regroupe 10 de ses 11 albums pendant environ 3h et qui rapprochent dans les stades des personnes de tout âges qui ont découvert sa musique à des périodes de vie différentes et à différentes époques de sortie d’album. Et puis il y a ce sentiment de joie, de sécurité, de savoir que l’on n’a pas à faire attention ou encore pas tant que l’on est à l’intérieur du stade et rien que ce sentiment fait tout à mes yeux comme je pouvais le lire sur ce commentaire ci-dessous lu sous un TikTok cette semaine.
J’ai eu la chance d’aller à cette tournée deux fois en 2024 : à Lyon le 3 juin puis à Toronto le 23 novembre mais j’y suis en réalité allée des dizaines et des dizaines d’autres fois : à la sortie du concert au cinéma puis dans mon salon devant Disney + ou encore sur l’écran de mon iPad ou de mon téléphone à regarder les streamings diffusés en live par des personnes présentes au concert et que ce soit en vrai comme par le biais de vidéos un peu pixellisés, j’adore avoir le coeur qui se gonfle, les yeux qui brillent et la gorge serrée, j’adore être là pour la même chose avec tant d’autres personnes que je ne connais pas mais dont je sais qu’elles ressentent les mêmes émotions, réunir toutes nos histoires pour quelques heures et chanter en coeur, le poignet orné d’un bracelet qui s’illumine, le visage et les vêtements couverts de paillettes, des tenues qui ont été cousues et ornées de perles pendant des mois et des mois pour n’être portées que pour 2h30, être là ensemble à scruter le moindre détail, le moindre easter egg qui pourrait se cacher dans le choix d’une tenue, chanter le plus fort possible, connaître toutes les variations, tendre l’oreille pour deviner dès les premières notes quelles seront les surprise songs ce soir là.
Tout ça, c’est ce qui fait que ces moments sont spéciaux et précieux, qu’ils soient vécus au sein d’un stade ou bien en dehors, le visage doucement éclairé par la lumière de notre téléphone, chez nous devant des lives qui tremblotent à la connexion instable.
Il y a quelques années j’avais écouté un épisode du podcast Émotions qui parlait de la compersion2, ce sentiment que l’on éprouve lorsque l’on ressent du bonheur à l’égard du bonheur ressenti par quelqu’un d’autre. En plus d’être ravie d’apprendre un nouveau mot et de l’ajouter à ma petite banque personnelle, j’avais trouvé ça vraiment intéressant de s’interroger sur un sentiment et la fréquence et la façon dont on peut en ressentir un et encore plus, lorsqu’il n’est pas directement rattaché à ce que l’on expérimente mais à ce que quelqu’un d’autre que soi expérimente. Et je pense que pendant toute cette tournée il y a eu beaucoup de ça, de la compersion : ce large sentiment de bonheur sincère partagé par des milliers et des milliers de personnes, principalement des femmes, autour d’un sujet commun. Cette joie de se réjouir lorsque quelqu’un d’autre que soi a éprouvé du bonheur pendant un concert où l’on n’était pas. Ce bonheur de voir sur le visage de quelqu’un d’autre l’émotion d’entendre son morceau préféré ou de l’écouter nous raconter un bout de vie.
C’est un sentiment compliqué je trouve, ce n’est pas quelque chose que l’on nous enseigne forcément, ou bien que l’on nous enseignait (en tout cas dans mon éducation ce n’était pas le cas), et il est souvent fortement lié à nos propres insécurités et à la difficulté d’avoir à mon sens 100% confiance en l’autre ou bien à comment l’on se sent à l’instant T, et par extension 100% confiance en nous, j’imagine. C’est un peu une évidence mais je n’arrive à n’être que complètement et sincèrement heureuse pour l’autre bien souvent que lorsque je vais vraiment bien et que je suis complètement apte à être ouverte vers l’autre, que je me sens confortable et débarrassée de toute inquiétude ou tracas quotidien pour ne laisser la place qu’à la joie. Lorsqu’il n’y a pas de sentiment de manque ou de frustration il est bien plus facile à mon sens de ne pas malgré nous ressentir un peu d’envie (et pas forcément de jalousie qui est un sentiment assez différent bien que souvent confondu avec l’envie). Et je trouve ça chouette. La compersion, c’est un sentiment génial et super réconfortant à encourager et si elle n’est pas toujours automatique, j’aime tellement la cultiver et faire en sorte qu’elle fasse de plus en plus partie de mon quotidien en même temps que la sororité qui commence être de moins en moins un terme sorti de nulle part dont tout le monde ignore les fondements et l’importance. Se réjouir pour l’autre c’est se réjouir pour soi et c’est assumer bien plus aisément nos propres goûts en ayant plus facilement confiance en qui l’on est.
Je vais avoir 32 ans le 5 décembre prochain et je suis absolument ravie d’enfin m’en foutre et d’être si heureuse de mettre autant d’énergie dans quelque chose que l’on pourrait considérer comme futile mais qui est incroyablement important pour nous. On (les hommes) nous a trop souvent fait comprendre de manière assez peu délicate que nos goûts n’avaient que peu de valeur, que c’était honteux de “jouer à des trucs de filles”, que nos conversations n’avaient pas d’importance et que par extension, notre existence ne valait pas grand chose et il est vraiment temps de continuer de reprendre ce que l’on nous prend. C’est depuis que je suis heureuse d’être qui je suis que j’aime de nouveau le rose et les paillettes (quoique les paillettes ont toujours relevé de l’obsession chez moi…) parce qu’ils se défont de leur symbolique dite féminine et qu’il n’y a rien qui mérite d’en avoir honte.
“So make the friendship bracelets, take the moment and taste it You've got no reason to be afraid”
Et pour autant, je sais que ça n’a jamais été le cas pour plein de personnes, qu’il y à l’inverse plein de personnes qui ont toujours eu confiance en elles, qui ont grandi et évolué dans un environnement stable et réconfortant et c’est un vrai privilège et une chance incroyable que de ne pas avoir à perdre de temps une fois adulte à tenter de défaire ces schémas là. Mais que vous ayez toujours eu confiance en vous et en votre environnement ou non, il n’est pas trop tard pour ouvrir grand les yeux et se réjouir de faire de certains jours de l’année de vraies fêtes, d’enfiler des perles sur un petit fil et d’échanger son bonheur avec des inconnues rencontrées pour quelques minutes à peine.
L’importance que l’on met dans quelque chose ne devrait pas être objet à être jugé et adulte, on ne devrait pas et surtout plus se sentir mal à l’aise de participer à une telle effusion collective, que ce soit un concert gigantesque ou des moments plus quotidiens et on ne devrait surtout pas craindre d'avoir honte ou d’accepter que l’on nous suggère ce sentiment. La vie n’est pas réservée à remplir des papiers administratifs, faire des trucs chiants, aller acheter à manger, payer ses factures, elle est réservée pour ces moments là de joie où l’âge n’a plus aucune importance car qui a dit qu’à partir d’un certain âge il fallait arrêter de se coucher à 3h du matin pour écouter un album entier lors de sa sortie ou regarder en boucle un concert sur des streamings pixelisés ?
Portez des jupes qui tournent, des paillettes sur les yeux, chantez à tue-tête toutes les chansons que vous n’osiez pas chanter avant, faites des bracelets de perles, aimez sincèrement ce que vous avez envie d’aimer, la vie est trop courte pour écouter les jugements nous entourant et elle est assez longue pour écouter en boucle la discographie intégrale de Taylor Swift sans aucun skip.
Pourquoi vous devriez écouter un peu plus Taylor Swift et un peu moins les hommes ou les personnes autour qui y apposent un jugement de valeur incroyablement cliché ? Parce que si une femme qui réussit les dérange autant et dérange autant les Républicains aux USA c’est qu’il y a déjà là un premier indice nous poussant à crier en coeur avec des milliers d’autres personnes Fuck the Patriarchy.
Attention, je ne dis en aucun cas dans cette newsletter que vous DEVEZ écouter et aimer Taylor Swift mais si vous ne l’écoutez pas et ne l’aimez pas uniquement pour des raisons sociétales et sexistes et non des raisons de goûts personnels, là, ça pose un peu plus problème.
Pour aller plus loin…
Si vous voulez creuser un peu plus le sujet comprendre qui elle est au delà de la chanteuse, de l’image véhiculée par les médias et de ses sublimes Louboutins à paillettes, je vous recommande vivement les 6 épisodes du podcast Taylor Swift, le monde, ma fille et moi de Xavier Yvon diffusé sur France Inter mais également Miss Americana, le documentaire sorti en 2020 sur Netflix. Je vous encourage également fortement l’écoute du documentaire folklore: The Long Pond Studio Sessions disponible sur Disney + dans laquelle accompagnée de ses co-producteurs Jack Antonoff (The Bleachers) et Aaron Dessner (The National) Taylor Swift interprète en acoustique les morceaux de son album folklore écrit, produit et sorti à distance en 2020, une vraie merveille qui fait partie d’un duo d’album avec evermore qui sont les deux albums les plus accessibles si vous ne connaissez pas du tout l’artiste et avez envie de la découvrir.
On est le 1er décembre et en janvier prochain cela fera 2 ans que cette newsletter a été créée, vous êtes près de 1700 à me lire et 20 à me soutenir avec un abonnement payant alors pour tout ça, mille mercis vous me réchauffez le coeur et je suis toujours très heureuse lorsque je lis les petits mots que vous postez juste en dessous chaque mois. Prenez soin de vous, ralentissez un peu le rythme si vous pouvez et on se dit à… bientôt ! (hehe vous pensiez vraiment que j’allais céder à vous dire à l’année prochaine ? Qui dit que je ne publierai pas un autre demi-épisode d’ici là !)
En vous écrivant, j’ai aussi écouté…
J’ai à cœur de faire de ce Substack un espace de partage et de conversation et pour ça, j’aimerais beaucoup lire vos pensées alors n’hésitez pas à réagir via l’espace de commentaires ci-dessous !
Le terme girl’s girl se rattache au fait de faire passer ses relations féminines avant les masculines et de faire preuve d’une sororité sincère sans sentiment de compétition l’une envers l’autre, à l’inverse du terme pick-me qui est utilisé pour désigner les femmes en recherche d’attention et d’approbation de la part des hommes, ce fameux “non mais moi je suis pas comme les autres filles”.
La Compersion : peut-on apprendre à être heureux du bonheur de l’autre ? - 1er avril 2019, podcast Émotions.
Ton message est fondamental : autorisons-nous à être nous-mêmes en toutes circonstances et si on s’aperçoit qu’on n’y est pas autorisé, c’est sans doute qu’il y a un problème ! Mais en aucun cas ce problème ne vient de nous 💜 Je ne suis pas fan de Taylor Swift, mais j’adore cette énergie positive qu’elle porte et qui se dégage de sa communauté. Ça mérite un immense respect. Vive la liberté et les paillettes ✨
Vive Taylor Swift et vive tout ce que la pop musique "de meufs" nous apporte 🫶🫶 (et j'ajoute aussi compersion à mon vocabulaire !)