No. 11 Lorsque l'on va si mal au point de croire que l'on souhaite que tout s’arrête
Saison 1, épisode 11 - Cette newsletter qui a mis presque une année à être écrite
Cela fait tellement longtemps que je veux terminer d’écrire ce texte, j’ai commencé à l’écrire en février et ai repoussé chaque mois sa publication. Hier encore je me suis dit que peut-être que non, que je le publierai plus tard. De peur de ne pas bien raconter, d’en dire trop ou pas assez et aussi de peur qu’à l’instant même où j’en parlerai ce serait fini, que je n’aurai plus aucune chance d’en parler et que j’aurais utilisé ma seule chance de pouvoir le faire ou bien que je ne le ferai pas suffisamment bien. Et puis aussi parce que c’est pas un sujet drôle que je veux aborder et que je ne veux pas du tout que ce texte soit lu comme une plainte. Chaque 10 octobre a lieu la journée de la santé mentale et cette date m’a fait me dire que peut-être qu’il faudrait bien que je me décide à enfin choisir un mois pour y dédier cette newsletter. Ça y est, je m’en sépare enfin pour passer à autre chose et écrire sur d’autres sujets.
Depuis aussi loin que je m’en souvienne je cohabite avec une partie de moi-même que je n’aime vraiment pas trop et ces derniers temps — si je compte bien cela fait en réalité presque 2 ans alors peut-on vraiment parler de “ces derniers temps” — cette partie-là est revenue et c’est nul. Alors je me suis dit que j’allais en parler et que je verrai bien.
Trigger Warning : cette newsletter parlera de dépression, de mort et de suicide. Ne vous forcez pas à la lire si vous n’êtes pas dans une période qui est suffisamment confortable pour vous confronter à ce type de sujets.
Pendant que j’écrivais cette newsletter j’ai notamment écouté…
La dépression.
Il y a des personnes qui sont susceptibles d’avoir des angines fréquemment, d’autres qui ont le bout des pieds tout le temps froid ou bien d’autres encore qui font des otites à répétition… moi mon angine, mes bouts de pied froid ou mes otites, c’est mon cerveau qui parfois court-circuite et décide sans prévenir que la vie est trop courte pour aller bien. Je ne suis pas encore guérie à l’heure où je tapote sur mon clavier mais je peux dire que je vais quand même mieux aujourd’hui. Suffisamment mieux en tout cas pour en parler et avoir un peu plus de jours avec que de jours sans. Je suis bien loin d’en être sortie mais la douleur est un peu plus effacée et si c’est chouette pour moi d’avoir atteint ce nouveau cap, ce texte serait bien moins précis si je n’avais rien écrit avant alors allons-y, je laisse mon moi du passé vous raconter. J’ai commencé à écrire cette newsletter en mars 2023 dernier pour figer en mots toutes les émotions que je ressentais lorsque c’était encore si difficile et je sais que j’ai bien fait de commencer à écrire à ce moment là tout en me laissant le temps de le faire jusqu’à aujourd’hui.
Depuis début 2022, je vais vraiment mal.
C’est bien loin d’être la première fois, ce n’est pas une sensation nouvelle : depuis petite je me trimballe ce baluchon bien trop lourd pour mes épaules mais au fur et à mesure j’ai cette sensation désagréable que plus ça arrive et plus c’est difficile et intense, comme si j’étais à chaque fois un peu plus affaiblie et marquée, que la trace se cicatrise de moins en moins bien. Pourtant cette fois je l’ai bien vu : c’est différent. J’ai essayé de toutes mes forces de la faire partir mais elle a et a eu des airs de tempête qui n’a que faire de ce qu’elle fait voler sur son passage et cette fois, elle s’est tellement installée qu’elle s’est peu à peu métamorphosée au fil des mois en dépression sévère pour laquelle j’ai compris que j’allais en avoir pour longtemps, sans même que je ne me rende compte que cette fois ça allait trop loin et que ça allait être vraiment différent de d’habitude.
J’y suis familière, cette tempête qui gronde et ces marées qui vont et viennent à l’intérieur de mon cerveau ne me sont malheureusement pas inconnues. Pourtant, j’ai toujours eu la presque-certitude qu’elles ne duraient jamais bien longtemps à chaque fois. Je me faisais une confiance une peu naïve en quelque sorte, c’est fascinant comme l’on pense se connaître pour finalement se laisser surprendre malgré soi. Chez moi, jamais bien longtemps jusqu’à il y a un peu plus d’un an c’était quelques mois. Quatre, cinq, six mois au plus. Avec du recul, c’est beaucoup quand même. Mais de mon point de vue “c’était ok, ça passait”, j’avais les épaules suffisamment solide pour serrer les dents, serrer les poings et attendre que la vague passe en regardant mes pieds. Cette fois, j’ignore ce qu’il s’est joué à l’intérieur de moi et pourquoi, cette fois, la marée a refusé de se retirer mais ça n’a pas duré juste six mois. L’eau a continué de monter en tapant à chaque fois plus fort comme les grandes marées sur les remparts de St Malo, engloutissant les pierres et les passages sous leur eau salée qui pique les plaies.
C’est injuste de perdre à ce point du temps de vie
À chaque nouvelle grande marée le même sentiment m’habite, une injustice sourde et profonde qui me fait me demander ce que j’ai fait pour devoir encore et encore user de mon énergie au lieu de vivre normalement, pourquoi est-ce que mon cerveau ne peut pas se remettre pour de bon et fonctionner correctement, me laisser aller mal au besoin si vraiment ça lui fait plaisir de temps à autre pour de vraies raisons qui auraient l’air un peu plus crédibles et socialement acceptables : un passage à vide, des soucis financiers, une mauvaise nouvelle… mais pas “comme ça”. À chaque fois je me demande pourquoi est-ce qu’il ne me laisse pas tranquille et pourquoi mon cerveau sera toujours cette petite barque au bois un peu pourri qui se fait trimballer par les vagues sans parvenir à regagner la terre ferme pour de bon.
Cette fois différemment des fois précédentes, après une énième thérapie entamée j’ai compris pourquoi je me trainais ce baluchon et même si je ne sais pas vraiment pourquoi cette fois précisément c’est pire que d’habitude et ce qui a déclenché son intensité, je sais que si je ne parviens pas à reconstruire correctement mon tout petit bateau je n’aurai pas d’autres choix que de serrer les dents à peu près toute ma vie et que la tempête reviendra toquer quand elle s’en sentira l’envie. C’est un peu dur de se dire ça, que c’est pour toute la vie, ça a des airs de fatalité et en même temps, en avoir conscience c’est ne plus se mentir à soi-même et ce n’est pas non plus baisser les bras, au contraire. Que ce n’est pas juste passager, lié aux saisons, à une période qui est extérieure à nous… si c’était le cas ça ne serait pas forcément plus simple mais je me dis qu’au moins la cause de la tempête ne serait pas enfouie en moi depuis petite et que j’aurais des options un peu plus concrètes pour trouver comment faire. Et en même temps, ça m’a fait à certains moments ressentir tellement de culpabilité et de honte parce que l’on sait bien que dans l’inconscient collectif, une dépression ça n’a pas vraiment de valeur parce que ce n’est pas palpable. Que l’on a moins le droit de se plaindre parce que ça pourrait être pire, que ça pourrait être une vraie maladie (ça en est pourtant une), de celles dont les diagnostics sont donnés par des scanners, des IRMS, des prises de sangs ou tout autre examen médical un peu plus sérieux. Et même en sachant que c’est une vraie maladie, je me suis sentie incroyablement illégitime et de trop.
À la place je fouille, je me débats comme je peux et fais du mieux que je peux. Malgré cette satanée tempête je suis de nature à avoir de l’espoir et à être optimiste, cet optimisme est souvent terni parce que parfois forcément, c’est un peu dur de prétendre chaque jour sans fléchir que tout va bien pour ne pas avoir l’air d’être de trop mais j’essaye autant que possible d’en prendre soin, comme une petite casserole de cuivre polie de temps à autre pour lui redonner tout son brillant. Mais cette tempête est certaines fois un labyrinthe sans sortie et il faut y trouver des coins pour reprendre son souffle le plus longtemps possible et retaper comme il faut mon tout petit bateau, ou bien polir ma petite casserole selon ce que vous préférez, je vous laisse le choix ! Comme je culpabilise à me répéter sans cesse que ça pourrait être pire, que c’est “juste” une dépression alors que je sais bien que c’est déjà bien assez et qu’être dure avec moi-même n’est en rien une solution pour aller mieux, que je n’ai pas à être en plus mon propre bourreau, que ma tempête le fait déjà bien toute seule et n’a vraiment pas besoin d’une stagiaire dans ses pattes.
C’est nul de se sentir nulle, c’est comme se sentir pas assez et trop à la fois
On se dit souvent que l’on a le contrôle sur la façon dont notre cerveau est fait, qu’il suffit de faire les bons choix, de faire du mieux que l’on peut. Que c’est un peu une recette magique de réussite de la vie : si je fais ça, ça et ça, rien ne pourra m’arriver de nul et tout se passera comme sur des roulettes. Si seulement ! Sans doute pour se rassurer et se dire que non, ça ne peut pas nous arriver à nous. Et en même temps, on sait bien que tout le monde a sa vie alors on se sent un peu égoïste d’avoir un si lourd bagage à emporter chaque jour avec soi sans trop savoir si on peut l’ouvrir ou pas. C’est dur à expliquer car lorsque l’on évoque le fait que notre santé mentale s’est vraiment cassée la gueule bien souvent en face il n’y a plus qu’un silence assourdissant comme celui ressenti après un coup un peu trop violent. Comme si aller mal était contagieux, qu’il ne faut surtout pas en parler parce qu’en parler rendrait la possibilité de souffrir à ce point bien trop réelle et éclabousserait le reste du monde d’une marée noire. Tout le monde marche sur des œufs, n’ose trop rien dire sans se rendre compte que ne rien dire est pire, que cela nous fait nous sentir encore plus invisible et que l’on mérite encore moins d’être là, qu’on se sent comme un poids bien trop pesant, même pour les personnes qui nous aiment et nous soutiennent et que l’on s’effondre constamment sitôt la porte de la salle de bain fermée parce que l’on se sent pas assez et trop à la fois sans bien savoir comment faire pour trouver l’escalier nous permettant de remonter la pente.
Je crois vraiment qu’il vaut mieux dire quitte à faire preuve de maladresse plutôt que rien dire de peur de mal dire. Le silence est bien souvent infiniment plus blessant qu’un mot mal choisi.
On entend souvent qu’il faut se défaire des personnes trop négatives, de celles qui n’ont pas suffisamment la force d’aller bien comme s’il ne s’agissait que d’une question de volonté, qu’il ne faut ne s’entourer que de positif et mettre tout le reste sous un tapis. Comme si l’on décidait que l’on avait envie d’accueillir la dépression chez nous, lui préparer un bon plat chaud et lui proposer des pantoufles confortables et que toute la souffrance qui tournoie autour n’est finalement pas grand chose ou bien que l’on s’en délecte. Et même si à certains moment j’ai eu l’impression qu’aller mal était mon identité, ce n’est au fond pas le cas. C’est nul de se demander si c’est ça l’image que l’on renvoie à l’extérieur alors ma seule solution était de faire illusion pour me convaincre que j’étais encore capable. Si vous saviez à quel point personne ne souhaite souffrir à ce point.
C’est un sujet qui je sais est compliqué parce qu’il y a mille raisons d’aller mal et aussi mille raisons d’aller bien… mais parfois, ces mille dernières raisons ne suffisent pas vraiment. La dépression est une maladie et il ne suffit pas seulement de prendre un bain et de prendre soin de soi pour qu’elle s’en aille. Imaginez tout l’argent que j’aurais économisé si c’était le cas, une boule de bain Lush contre des milliers de dollars dépensés en thérapie et médicament. Je ne souhaite vraiment à personne de connaître la dépression et aurais vraiment aimé ne pas la connaître non plus, tout ce temps perdu que j’aurais pu utiliser ailleurs !
À quel moment est-ce que je n’ai pas vu que ça avait vraiment commencé à dégénérer ?
L’an dernier, mon cerveau et mon corps se sont mis de mèche pour atteindre une nouvelle étape que je n’avais encore jamais connue jusqu’alors. Je n’arrivais plus à manger, chaque aliment ingéré me causait instantanément des vertiges, de la nausée et des maux de ventre qui ont fini par m’effrayer, me faire me rendre compte à quel point la marée était devenue noire et gagnait du terrain pour m’empêcher de plus en plus de respirer correctement. Que c’était dans ma tête et que ça commençait à être dans mon corps aussi. Ma peau s’est marquée, mes cheveux ont commencé à tomber par poignées et continuent parfois de tomber par mèches entre mes doigts et cette fois ce n’était plus juste à l’intérieur, je le voyais bien dans mon reflet. Tout allait bien dans mes examens sanguins, c’est ma tête qui clochait.
La dépression fait peur — et je le comprends, si vous saviez à quel point elle fait peur lorsqu’elle s’empare de nous — et j’ai l’impression que lorsque l’on ose en parler il faut parvenir à le faire avec humour pour rassurer. Parce que l’on ne veut pas croire au fait que ce soit réellement une maladie contre laquelle on ne peut pas grand chose lorsqu’elle décide de venir puis de s’agraver. Qu’il faut ponctuer nos récits d’un “mais ça va hein, t’en fais pas !” alors que tout le récit raconté précédemment prouve le contraire. Pas tant pour rassurer à propos de notre état mais bien plutôt rassurer à propos de la capacité d’autrui à encaisser la possibilité que l’on puisse aller suffisamment mal au point que ce soit possible de vouloir que la douleur s’arrête pour toujours. Je le vois bien lorsque des personnes relativement connues en viennent à décider de mourir à la suite d’une dépression : les réactions sont au moins aussi violentes que la souffrance qu’elles ont pu subir pour en arriver là. À travers ces réactions, celles que l’on entend le plus souvent : quel égoïsme, jamais je n’aurais fait ça, c’est ne pas penser aux personnes qui restent… Et si la souffrance doit être indicible de perdre un proche de cette manière là, à quel point celle de la personne qui a décidé de partir était telle que plus rien n’était assez. Comment juger lorsque l’on ignore tout de la puissance qui se joue dans ces moments où l’on se sent engloutie par cette marée qui nous étouffe ?
On est en novembre 2023 et il y a pile un an j’en étais arrivée à un stade si douloureux que je pensais constamment au fait que je n’allais pas pouvoir tenir si ça durait encore avec autant d’intensité. Que j’étais forte mais pas à ce point, que personne ne peut l’être à ce point. Je m’effondrais en larmes lorsque je pensais à la venue de mes meilleurs amis quelques mois plus tard parce que je ne savais pas si j’en étais capable. Je ne pensais qu’à ça, je n’arrivais plus à me projeter à un, deux, sept jours, un mois, une année dans le futur. Je ne savais pas que c’était possible de souffrir mentalement à ce point et si cela fait maintenant plusieurs mois que je ne l’ai pas ressenti pendant aussi longtemps mais que c’est devenu désormais bien plus ponctuel, j’ai encore en mémoire l’effroi que me procuraient les moments où je n’arrivais plus ni à parler ni à bouger et où songer à la fin de journée me paralysait. Alors pendant ces mois là, je comprenais les personnes qui ont fait le choix de partir parce que parfois la souffrance est tellement insoutenable que ce n’est tout simplement pas possible de réussir à continuer d’avancer. Qu’il n’y a aucun autre choix possible à nos yeux et que la seule solution possible est d’arrêter de vivre, que l’on ne souhaite pas mourir mais que tout ce que l’on souhaite est simplement d’arrêter de souffrir. C’est infiniment dur de se battre pour rester, de dealer avec nous-mêmes chaque jour, de prendre sur nous, d’accepter la souffrance pour parvenir à tomber sur un terrain d’entente entre une seule et même personne. Pour trouver des compromis entre nous et nous-mêmes.
Et à côté de ça j’avais honte, je ne me sentais pas légitime parce que je ne correspondais pas aux images qui sont données de la dépression. Parce que la plupart du temps je me levais chaque matin, que je me douchais, que je souriais lorsque j’étais à l’extérieur de chez moi et que même si aujourd’hui je sens bien que je suis épuisée par le travail et de ne pas avoir pu faire de pause, je continuais de m’assoir chaque jour devant mon écran (il y aurait un deuxième pan qui pourrait être écrit en réponse à cette newsletter pour vous raconter à quel point notre société nous interdit d’aller mal tant financièrement ce n’est bien souvent même pas une possibilité mais ça ferait de trop.)
Je vous écris alors qu’aujourd’hui je vais mieux parce que je suis sous traitement depuis 7 mois et que ce traitement me sauve la vie. Je n’utilise pas de grands mots, j’en suis convaincue et purée, comme je suis reconnaissante que la médecine existe. Tout comme l’on a parfois besoin de prendre des antibiotiques pour terrasser une bactérie récalcitrante, ma bactérie à moi c’est la dépression et elle ne peut pas partir seule. Ce n’est pas une preuve de faiblesse mais le moyen que j’ai trouvé pour reprendre le contrôle pendant le temps qu’il faudra. Malgré mon tout petit cachet blanc pris chaque matin je sens bien qu’en dessous de cette couche médicamenteuse la marée ne s’est pas encore retirée et qu’elle continue de gronder, qu’elle continue de taper contre les remparts qui ont depuis été renforcés et que je ne peux pas me permettre de baisser ma garde. Malgré mon tout petit cachet blanc pris chaque matin, chaque journée où je recommence à me noyer est plus violente que toutes les autres fois où cela pouvait m’arriver. C’est comme si cette fois, avec le temps, l’âge et toutes les fois où la tempête est revenue, cette fois j’étais moins forte qu’avant, plus fatiguée et vulnérable et moins capable d’être solide. Que parfois être en vie est tellement plus difficile que de mettre un pied devant l’autre.
Et puis lorsque l’on ne ressent plus rien c’est pire
Et pourtant, il y a pire que la tristesse et le malheur, il y a ces moments où cette tempête devient si forte et violente qu’elle nous assourdit pour se transformer en un Rien. En une apathie telle que l’on ne se souvient plus de ce qu’est la joie ou la tristesse et où l’on ne souhaite qu’une seule chose, de parvenir à pleurer pour au moins s’assurer que malgré tout notre cerveau est encore capable de ressentir, que là dedans tout n’est pas complètement foutu ou au moins pas pour toujours. Je me rappelle si distinctement de la première fois que ça m’est arrivé. J’étais encore toute jeune lorsque j’ai ressenti ce vide et la panique qui m’a habitée, de cet espoir que ça allait revenir, qu’il y avait juste un grip dans la machine. Je ne savais pas à l’époque ce que c’était : que c’était normal sans vraiment l’être.
Aujourd’hui, je vais un peu mieux mais je n’ai pas envie de tirer des leçons de ma souffrance, je me sens plus apaisée de savoir qu’il y a un peu plus de journées + que de journées - tout en sachant que ce n’est pas terminé. Je n’ai pas du tout envie d’en tirer du positif pour rassurer et correspondre à ce que l’on attend des personnes qui ne vont pas bien. De lancer un programme de développement personnel, d’écrire un livre qui aurait un titre accrocheur indécent “Comment faire de votre dépression une force”. Ce qui ne tue pas rend plus fort il parait. Oh punaise Nietzsche, tu aurais mieux fait de te cogner le pied contre une table ce jour là que de nous pourrir la vie et donner au développement personnel une phrase aussi incroyablement bidon que fausse. Je vous assure que je suis une bien plus chouette personne lorsque je suis heureuse et joyeuse que lorsque je suis malheureuse au point de me demander comment je tiens. Tout ce temps perdu ne sera jamais regagné alors si “ce qui ne tue pas rend plus fort” cela nous tue tout de même à petit feu et nous détruit la santé. Ces derniers mois m’ont retiré de la concentration, de l’efficacité au travail, la capacité de réussir à lire un livre ou à terminer une série et il me tarde de réussir à regagner tout ça.
Aujourd’hui, je sais que je vais bien mieux qu’il y a quelques mois et si je sais que je dois faire attention, qu’il faudrait que je trouve le moyen de ralentir un peu pour ne pas finir en burn out, aller mieux aujourd’hui me donne tout de même plus de force et plus d’espoir pour savoir que si cela peut revenir, le soleil vient après la pluie et qu’il me faut profiter pour le moment le plus possible de ces rayons qui réchauffent.
Que peut-on dire à une personne en dépression ?
J’avais écrit il ya quelques mois ce petit paragraphe et je ne savais pas vraiment si j’allais le conserver. Et finalement je me dis que c’est une bonne conclusion, comme ces paragraphes mis à la fin d’un film tiré d’une histoire vraie qui raconte ce que sont devenus les personnages principaux de l’histoire. Et que vous raconter c’est bien pour faire comprendre mais que peut-être je pourrais préciser un tout petit passage qui n’est pas souvent évoqué depuis l’intérieur. Car je sais à quel point c’est dur pour l’entourage de ne pas savoir quoi faire pour aider et pour faire en sorte que ça aille mieux et à destination de l’entourage, je suis sincèrement désolée que vous deviez traverser le fait de vous sentir aussi impuissants.
La dépression est une réelle maladie qui est particulièrement compliqué à décrire et à comprendre. Elle n’est pas si bien comprise encore par la médecine et la façon dont elle fonctionne n’est pas encore parfaitement expliquée tant les raisons diffèrent : dérèglement chimique, lésions au niveau des cellules cérébrales, connexions rompues des neurotransmetteurs qui font habituellement le lien entre les neurones… La dépression, c’est comme si le pont que vous deviez prendre pour faire le lien entre deux rives venait à être rompu. Plus aucun passage n’est possible et pour le refaire, la médicamentation (couplée d’une thérapie) est une solution pouvant dans beaucoup de cas travailler à recréer ce pont. Il ne s’agit donc pas d’une question de volonté comme ce que l’on peut souvent entendre mais bel et bien d’un dysfonctionnement majeur qui peut malheureusement dans beaucoup de cas laisser des séquelles. Pour ma part, beaucoup de fatigue quotidienne, une perte majeur de concentration, une peur constante que cela revienne et des insomnies à répétition depuis la fin de mon enfance. Elle fait tout remettre en question y compris ce que vous croyez être stable, le cerveau est vicieux et fait peur dans ces moments là car il fait disparaître toutes vos émotions et sentiments, y compris vos sentiments amoureux et vous fait songer à des décisions que jamais vous n’auriez souhaité prendre en temps normal. Il est primordial de se souvenir dans ces moments là que malgré tout le réalisme de vos pensées, ce que votre cerveau essaye de vous faire croire n’est pas réel et qu’aucune décision ne doit être prise lorsque vous allez mal, excepté bien sûr lorsque la raison de votre souffrance y est liée.
La dépression a plein de sources différentes, il n’y a pas de niveaux de valeurs, il prend des multitudes de formes différentes et si j’ai eu et ai toujours beaucoup de mal à ne pas être trop dure avec moi-même, réussir à se lever le matin ne rend pas la souffrance moins valide et rester dans notre lit toute une journée n’est pas non plus de la faiblesse. Dans ces moments là on a à la fois besoin de savoir que l’on est entouré mais lorsque c’est de trop, devoir gérer notre entourage nécessite à certains moments trop d’énergie puisque l’on n’arrive même plus vraiment à se gérer soi-même. Ce n’est pas contre notre entourage, c’est seulement un état qui nous empêche de mobiliser de l’énergie ailleurs tant on essaye de la concentrer absolument sur le fait de réussir à continuer.
Durant ces deux dernières années j’ai eu tendance à très facilement me mettre à pleurer lorsque l’on me demandait si ça allait. Cette question était violente sans le vouloir car elle nous ramène au fait que ça ne va pas. Elle peut être si souvent posée de manière vraiment sincère, mais de l’intérieur et en tout cas à mes yeux elle me faisait ressentir comme une pression, une attente voire un espoir de la part de la personne la posant d’entendre un “je vais bien”. Répondre que ça ne va pas c’est comme rater encore et encore un examen et se dire malgré nous que l’on ne vaut pas grand chose parce que l’on n’arrive pas à répondre que ça va. Je le vivais vraiment comme un échec et la peur qu’en face on soupire et que l’on se dise “olala elle va encore mal, qu’est-ce qu’elle est chiante elle pourrait pas faire des efforts”.
Alors plutôt que de demander comment va une personne, demandez peut-être plutôt comment s’est passée sa journée, comment elle s’est sentie pendant sa journée ou bien tout simplement, demandez lui si elle a envie de parler ou de se confier. Ce sont finalement des questions dérivées puisque le “Comment ça va” suggère toutes ces autres questions mais elles ouvrent la parole et sont moins chargées de l’attente et de la pression d’entendre que la personne va bien. Préparez-lui un panier réconfortant : des chaussettes, le lien d’une playlist que vous voulez lui faire découvrir, autant de choses qui soient les plus faciles possibles à consommer et qui fassent du bien sans qu’il y ait dedans quelque chose qui attende de la personne qu’elle réussisse à le faire.
Enfin, n’attendez pas d’être au plus bas pour demander de l’aide et même si vous demandez de l’aide, vous n’avez pas à respecter un délai pour aller mieux. Vous vous sentirez peut-être illégitime mais tout ça et même si ce sont des ressentis réels, ce sont des ressentis qui ne sont créés que par votre mal-être et qui ne sont pas vrais, il vaut mieux en demander que de ne plus exister. Prenez soin de vous, faites-vous passer en priorité si ça ne va pas, le monde continuera de tourner et a encore besoin de vous. Ne cherchez pas à être plus fort·e, être sous médicamentation n’est pas une preuve de faiblesse, n’écoutez pas les discours des personnes qui ne savent pas ce que ça fait car je sais qu’ils ont tendance à toujours réussir à s’infiltrer un peu dans nos têtes et à avoir plus de valeur qu’ils ne devraient avoir. Prêtez attention à votre entourage, la dépression ne se voit pas toujours et si je n’en avais pas parlé je ne suis vraiment pas certaine que mon entourage aurait pu s’en apercevoir.
Parfois je sais que c’est long mais le soleil continuera toujours de se lever le matin, tout finira par s’adoucir un tout petit peu ❤️
En vous écrivant, j’ai aussi écouté…
Merci beaucoup de m’avoir lue, je sais que cette newsletter n’était vraiment pas la plus joyeuse publiée ici depuis janvier dernier mais je la trouvais importante alors j’espère que ça a été. Le mois prochain devrait être un peu plus joyeux, Décembre c’est mon mois préféré de l’année : c’est celui de mon anniversaire et de Noël alors promis, la prochaine newsletter sera bien plus scintillante que celle-ci !
Courage pour ces périodes de vies pas facile. Personnellement j’ai été et je vais toujours voir une hypnothérapeute et ça me fait beaucoup de bien. Je te souhaite d’aller mieux, prends soin de toi 💕 @Lecureuilrouge
Je reconnais des pans entiers de ma vie dans tout ce que tu as décris, je suis heureuse que tu aille mieux aujourd'hui. Je pense que la compréhension qu'on les personnes qui ont vécues près du gouffre, longtemps, c'est quelque chose de paradoxalement précieux. Les gens qui m'ont le mieux aidé sont celles qui l'ont vécu.